Pages

jeudi 7 février 2008

"Polar Express" Jean-Claude Claeys et Black Mamba


Jean-Claude Claeys s’est fait connaître comme l’auteur-dessinateur de Magnum Song, singulière bande dessinée en noir & blanc des années 80, où le talent d’un Gustave Doré graveur se mêle à un hyperréalisme encore mal introduit en France. Avec ce titre et Paris-Fripon, le garçon jette un pavé dans la mare : une sensualité jusque-là traitée par la dérision des Comics de l’après 68, de Pilote à L’Echo des Savanes, fait irruption, dramatique ; elle fait penser à la peinture photoréaliste américaine, mais version manière noire. Un ton inédit, qui diffuse un parfum de gravure, est donné.
C’est une sorte de « nouvelle figuration » qui vient secouer la bande dessinée et fait des admirateurs étonnés.

Parallèlement, Claeys illustre pour Hélène et Pierre-Jean Oswald toutes les rééditions policières de sa collection le Miroir Obscur : l’univers noir des polars de J.H. Chase, Ed McBain, Fredric Brown, les romans d’aventure d’Edgar Wallace, le fantastique de Richard Matheson, de Robert Bloch, conviennent à merveille à cet homme qui semble, dans le domaine de l’édition, réhabiliter l’illustration. Comme s’il avait fallu presque quarante ans pour que certains auteurs se voient gratifiés des images qui collent à leurs textes, exception faite des images mouvantes des adaptations du cinéma noir américain, auquel l’artiste n’hésite pas à se référer. Un William Irish illustré par Claeys, c’est à la fois l’humble fidélité de l’illustrateur par rapport au romancier, mais aussi un élément de la constitution du monde singulier du dessinateur. Les 140 couvertures qu’il laisse à cette collection policière fameuse, aujourd’hui épuisée et recherchée des amateurs, en sont une base. Une Amérique ou une Angleterre rêvées d’après des films et photos, où le dessinateur n’est sûrement jamais allé, nourrissent un monde mental plus riche que toute impossible vérité. Claeys rassemble son iconographie ici ou là, réinventant aussi à partir de clichés pris en France : repérages de décors, habitations étranges, quartiers en friche, véhicules exotiques, travail chez soi sur des modèles réduits… Il finit par s’installer en Provence, près d'Avignon, où l’on invente l’Amérique au calme et, selon sa méthode, pas plus mal qu’à Paris !

Travaillant avec des modèles qui se verront projetés vers le Nouveau Monde, Claeys en photographie les poses dans des lumières déjà contrastées, forcées à son goût, ouvrant sur ses contrastes de plume. Un modèle féminin peut, sous ses éclairages puis ses pinceaux, prendre cent visages, comme l’auteur se retrouve sans cesse dans les personnages masculins de ses dessins, toujours changé, méconnaissable, puis à nouveau identifié par l’œil connivent… Celui de qui sait voir les figures et objets de ce monde s’accumuler, se diversifier autant que se répéter, revenir, tourner dans le grand carrousel de ce manipulateur. Avec les couvertures des Hitchcock magazine, puis surtout avec celles des policiers que lui commande la collection Le Livre de Poche, Jean-Claude Claeys se diversifie vers la couleur. Il la réserve aux décors, accessoires, vêtements. Elle n’atteint pas les corps – à moins que ne s’y risque un bijou – et laisse visages et chairs dans le contraste gris de cette encre de Chine qui modèle les êtres dans la glaise noire.

Publicité, affiches de festivals aussi figurent parmi les nombreux originaux qu’il a choisi de nous rendre proches… On n’imagine pas que les images de l’illustrateur, qui ont pour vocation, comme la photographie, d’être infiniment reproduites, naissent d’abord du support et du travail le plus singulier.

Jean-François JUNG